Une heureuse conjonction de publications offre l’occasion de retrouver, à nouveaux frais, le poète surréaliste Benjamin Péret (1899-1959) : un volume sur Les Arts primitifs et populaires du Brésil, sa Correspondance avec André Breton (présentée et éditée par Gérard Roche chez Gallimard) et enfin, le numéro 6 des Cahiers Benjamin Péret. C’est un bel ouvrage relié que les éditions du Sandre ont conçu pour réunir trois essais de Péret sur les arts du Brésil, parus en revues en 1956 et 1958. Une préface de Jérôme Duwa et une postface de Leonor Lourenço de Abreu en assurent la précise présentation. Mais c’est un vaste ensemble de photographies inédites, prises par Péret lui-même lors de ses séjours brésiliens, qui ajoute au prix de ce livre où se déploie la curiosité poético-ethnographique de l’auteur de l’Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique (Albin Michel, 1960). Cette anthologie, parue peu après la mort du bouleversant poète d’Air mexicain (1952), annonçait deux ouvrages « en préparation » : « Les arts du Brésil » et « Visite aux Indiens ». Si l’on rappelle Dans la Zone torride du Brésil. Visites aux Indiens du même Péret (également publié par J. Duwa et L. Lourenço de Abreu, en 2014, aux éditions du Chemin de fer), on peut estimer, cinquante sept ans plus tard, que ces deux projets ont fini par voir le jour. Ce n’est pas rien si l’on considère le peu d’éclairage dont bénéficie l’oeuvre de ce passant considérable du surréalisme et de l’esprit de révolte que fut Péret. Il est des livres qui (re)viennent de loin, ceux-ci nous parlent depuis des contrées en voie de disparition, depuis des imaginaires dont l’actuel cours de choses semble avoir programmé l’obsolescence. Dans le même temps que Péret projetait difficilement ces Arts du Brésil, André Breton peinait à mener à bien son Art magique (1957). La Correspondance entre les deux amis — c’est d’abord l’histoire d’une rare amitié — fait apparaître leur soif d’images à une époque où elles demeuraient rares et d’accès malaisé. L’heure était à l’agrandissement du musée imaginaire surréaliste, à l’approfondissement de la réflexion sur le merveilleux sous toutes ses formes. Toute une section des toujours très soignés Cahiers Benjamin Péret est justement consacrée au merveilleux, avec des contributions de J. Duwa, Pierre Mabille, Gaëlle Quemener, Claude Courtot, Philippe Audoin et Jean-Claude Silbermann. S’il « est partout, de tous les temps, de tous les instants » comme le disait Péret, le merveilleux n’en est pas moins une notion difficile à saisir. En 1942, Péret y voyait l’idée qui pourrait se substituer au surréalisme, en subsumer l’essentiel dans la période qui s’annonçait. « Y a-t-il place pour un merveilleux moderne ? [...] je veux parler d’une forme de merveilleux qui exprime et transfigure notre époque. » (Lettre à André Breton du 12 janvier 1942.) Le nouvel ordre du monde qui se rêve ici, fondé sur une redistribution des aptitudes psychiques, un réarmement de l’imaginaire qui prendrait le pas sur l’ordinaire rationnel, où le désir enneigerait d’étincelles chaque nouvelle donne dans le libre jeu du langage, des êtres et des choses, c’est dans cette intuition du merveilleux qu’il faut en chercher la clé. Le surréalisme, c’est sa grandeur et sa défaite, s’est toujours pensé comme quête d’un réenchantement du monde. Péret, dans son action politique comme dans sa pratique poétique, dans son attention aux arts premiers comme dans son empathie pour les arts populaires, est du nombre de ceux qui, au siècle dernier, ont contribué à élargir les horizons de la sensibilité et les dimensions de la liberté. Ces ouvrages viennent à point nommé nous le confirmer.
Texte paru dans Le Courrier (Genève) du 5 janvier 2018.