Le sacerdote maya qui, dans l’ancienne Mainí, avait, peu de temps avant la conquête, le titre de Chilám Balám (sorcier interprète), nous restera à jamais inconnu. De lui, n’a subsisté que son enseignement qui acquit alors - et plus encore dans les époques suivantes - une grande popularité parce qu’il annonçait l’avènement d’une nouvelle religion. Remarquons tout de suite que cette prophétie et l’accueil qu’elle reçut montrent le doute qui régnait, autant dans les milieux sacerdotaux que parmi la masse des fidèles, quant à la validité de la religion traditionnelle. Si le christianisme a d’abord joui, au Yucatán, d’un préjugé favorable, nul doute qu’il l’a dû avant tout à la prédiction de Chilám Balám. Les prêtres et moines espagnols n’eurent ainsi aucune peine à convertir les sacerdotes mayas. Ceux-ci reçurent très tôt un minimum d’instruction et apprirent à lire et à écrire leur langue à l’aide de l’alphabet européen adapté au maya. Mais, à peine débarqués, les religieux espagnols avaient déjà dévoilé toute l’intolérance du christianisme. Si les Indiens étaient prêts à accepter la religion des blancs, ils n’étaient cependant pas disposés à abandonner l’ensemble de leurs croyances comme les nouveaux venus l’exigeaient Aussi, une fois en possession de ce nouvel instrument d’écriture, les sacerdotes mayas entreprirent-ils, en cachette, la transcription des textes plus ou moins ésotériques qui représentaient toute la connaissance maya, conservée dans les manuscrits hiéroglyphiques dont ils avaient la garde.
Par la suite, des copies de ces transcriptions furent faites, toujours en secret tant à cause des rigueurs dc l’Inquisition que du caractère sacré des yanaltés (manuscrits hiéroglyphiques) que ces nouveaux livres prolongeaient. Ces copies et des copies de ces copies commencèrent bientôt à circuler de hameau en village, à travers toute la péninsule. Dès le début du XVIIe siècle, leur existence étaient patente. Un chroniqueur espagnol de cette époque y fait allusion. Avec le temps et la désintégration des croyances et coutumes mayas sous l’influence espagnole, les différences ne pouvaient manquer de s’accentuer entre les copies nouvelles, tandis que se multipliaient les interpolations d’inspiration européenne. Entre temps, chacun y avait déjà ajouté du sien : un formulaire de médecine indigène, un traité d’astrologie, une chronique locale, des formules symboliques d’initiation religieuse, etc. Enfin, le christianisme s’infiltrait également entre toutes les lignes, adultérant de plus en plus le document original.
Benjamin Péret, extrait de l’introduction au Livre de Chilám Balám de Chumayel, Editions Denoël, 1955. Œuvres complètes, tome 6, José Corti, p. 165-166.
Benjamin Péret, extrait de l’introduction au Livre de Chilám Balám de Chumayel, Editions Denoël, 1955. Œuvres complètes, tome 6, José Corti, p. 165-166.