On lira, ci-après, le discours prononcé par Jean-Michel Goutier lors de L'inauguration, par Jacques Bravo Maire du 9° arrondissement et Christophe Girard Adjoint au Maire de Paris Chargé de la Culture, de la place André Breton (à l'angle des rues de Douai et Fontaine) ainsi que le dévoilement d'une plaque apposée sur la façade de l'immeuble 42 rue Fontaine le vendredi 16 janvier 2009 à 10 heures 45 en présence d'Aube la fille du poète et d'Oona.


Donner à une place de Paris le nom d’un poète c’est insuffler à ce lieu, par la magie de l’acte de nommer, une part de la vie et des prises de position de celui qui le portait. Impossible de ne pas penser, à propos de cette  place  André Breton, aux arbres de la liberté plantés comme symboles de l’affranchissement populaire, après la Révolution de 1789, dans toutes les communes, sur les places publiques, par les clubs jacobins, sous les cris d’allégresse et les clameurs. Impossible de ne pas penser aussi à Charles Fourier dont le socle vide à quelques rues d’ici, fleuri par Breton à son retour d’exil, attend toujours le rétablissement de sa statue déboulonnée par les nazis malgré le souhait exprimé par Breton et Benjamin Péret, en 1951, dans les colonnes du Figaro littéraire.

« Le seul mot de liberté est tout ce qui m’exalte encore … Il répond sans doute à ma seule aspiration légitime. » À cette déclaration du Premier Manifeste du surréalisme fait écho l’illustration de couverture réalisée par Marcel Duchamp, en 1946 à New York, pour un recueil de Breton exilé aux États -Unis, où l’on voit, non sans humour, la tête du poète se substituer à celle de la célèbre statue de La Liberté éclairant le monde de Bartholdi.

Apostrophé par René Daumal, à l’automne de 1930, dans la revue Le Grand Jeu, en ces termes : « Prenez  garde, André Breton, de figurer plus tard dans les manuels d’histoire littéraire », l’auteur de Nadja a aujourd’hui sa place dans ces manuels (ainsi d’ailleurs que celui qui l’avait pris à partie) ! Mais, compte tenu de l’importance grandissante du surréalisme dans le monde des idées du XXe siècle, il aurait été bien puéril de vouloir en soustraire les noms de ceux qui ont contribué à la bouleverser. Plus significatif est de souligner la cohérence d’une vie et d’une œuvre d’un seul tenant et d’insister sur le fait, remarquable entre tous, que Breton, comme on peut le lire en conclusion de ses Entretiens, n’a jamais démérité de l’aventure humaine. Que se soit :

En 1925, en protestant contre la Guerre du Rif et en signant le tract La Révolution d’abord et toujours !  ;
En 1931, en manifestant  contre l’Exposition coloniale et en alertant l’opinion sur les événements  d’Espagne ;
En 1934, en signant l’Appel à la lutte, tract contre le putsch fasciste du 6 février;
En 1936,1937 et 1938  en dénonçant les Procès de Moscou ;
En 1938, en rédigeant avec Léon Trotski à Mexico le manifeste : Pour un art révolutionnaire indépendant ;
En 1940, en publiant l’Anthologie de l’humour noir interdite par la censure de Vichy ;
En 1947, en signant Liberté est un mot vietnamien  et Rupture inaugurale tracts  dans lesquels les surréalistes condamnent pareillement  impérialisme et stalinisme ;
En 1948, en collaborant à la rédaction du tract  À la niche les glapisseurs de dieu ! ;
En 1951, en prenant position contre la répression en Catalogne ;
En 1956, en participant au meeting  Pour la défense de la liberté  contre  la poursuite de la guerre en Algérie  et en saluant la révolution hongroise avec le tract  Hongrie, Soleil levant ;
En 1958, en dénonçant  le “coup d’État”gaulliste du 13 mai ;
En 1960, en participant  à  l’élaboration de la Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie.

La paresse intellectuelle des chroniqueurs et du public a entraîné une banalisation du terme surréalisme . Vidé de toute substance par son emploi inconsidéré il est devenu, depuis des décennies, un qualificatif à la mode, un mot fourre-tout adopté par les médias pour singulariser, dans l’horreur ou l’inattendu, un événement ou un produit. En revanche pour ceux qui continuent, de par le monde, à se préoccuper du sort des libertés, libertés de plus en plus menacées par les systèmes d’écoute et de contrôle des images à l’échelle planétaire (qui font redouter la menace d’une“cyberguerre”, plus destructrice, pour les esprits et les corps, que toutes les prévisions pessimistes de George Orwell), le projet initial du surréalisme, tel qu’André Breton le formulait dans le Manifeste, en faisant appel à l’imagination souveraine contre la logique, au rêve générateur d’énergie contre le rationalisme,  aux fauves de l’inconscient lâchés contre les tabous sexuels, religieux ou sociaux défendus par la morale traditionnelle, aux images folles puisées à l’écoute de la voix intérieure contre le bon goût érigé en dogme par les conventions culturelles, ce projet s’impose comme une référence majeure de notre devenir.

En écho au poète de Pleine marge, je dirai qu’avec André Breton et le vent nous avons des provisions pour longtemps.

Jean-Michel Goutier


Voir aussi Chronologie du Surréalisme