À l’heure où se produit un basculement civilisationnel chargé de menaces, où l’horizon social et politique s’assombrit, il pourrait sembler superficiel et peu sérieux de présenter dans cette livraison des Cahiers Benjamin Péret un dossier sur le surréalisme et le jeu. C’est bien vite oublier que le surréalisme, dès son origine, a placé le jeu au cœur de son activité et que, tout au long de sa trajectoire, il s’y est tenu. Même au moment le plus sombre du XXe siècle au temps de La Planète affolée peinte par Max Ernst (1942), à Marseille, à New York et à Mexico, le jeu était vécu comme l’antidote au désespoir. Car la visée du jeu surréaliste, son enjeu, était de mettre au centre le langage. Comme l’a rappelé André Breton « Le surréalisme en tant que mouvement organisé, a pris naissance dans une opération de grande envergure sur le langage ». Les articles de Jean-Michel Goutier, Philippe Audoin, Jean-Luc Gillet, Gaëlle Quemener et Gérard Roche, rassemblés ici, en montre l’ampleur, la diversité et la complexité depuis le Cadavre exquis jusqu’aux Cartes d’analogie.

Les Cahiers Benjamin Péret se devaient d’interroger les diverses manifestations qui se sont déroulées autour du centenaire du Manifeste du surréalisme d’André Breton. Au moment où triomphe, dans le langage médiatique et désormais populaire, le mot « surréaliste », total contresens et négation même de son esprit, que pouvait-on attendre des célébrations qui ont eu lieu pendant l’année 2024 ? À cette question, les contributions de Christian Bernard, Jean-Pierre Plisson et Jérôme Duwa, apportent des réponses critiques et nuancées.
Pour compléter et prolonger les deux précédents dossiers on trouvera dans ce numéro plusieurs études. Celle de Stéphane Massonnet nous éclaire sur la démarche intellectuelle de Roger Caillois lequel, après son éloignement du surréalisme, nous propose une vision anthropologique du jeu. Guy Prévan nous donne une vivante et étincelante illustration de la « langue verte », fruit de la révolte et de la poésie. Jérôme Duwa revient sur le mythe et la révolution dans l’œuvre de Péret tandis que Stéphane Massonet évoque la complicité entre Octavio Paz et Benjamin Péret traducteur de son poème Pierre de Soleil.

Parmi les documents, Joël Gayraud présente « l’anagraphomorphose », invention picturale du peintre et poète Guy Girard. La poésie de Giovanna est, en elle-même, un jeu sur le langage tandis que José Pierre analyse sa peinture comme un arrachement plastique. L’œuvre picturale pleine de poésie et d’humour de Jean-Claude Silbermann invente une mise en scène burlesque sur un tapis de sauvetage. Pour clore, Jérôme Duwa présente un potlatch dédié au poète et philosophe Gérard Legrand ami de Benjamin Péret.

Nous remercions vivement pour leur précieux concours à ce numéro : Ambroise Audoin, Aube Elléouët Breton, Marion Chaigne, Pierrick Hamelin, Felipe Martinez, Stéphane Massonet, Gilles Plazy, Jean-Pierre Plisson, Jacques Riby et Jean-Claude Silbermann.

 

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