Quand on ouvre le dictionnaire à la page « dédicace », on constate combien l’étymologie demeure une science malicieuse : « ducaze « fête patronale », fin XIIe; Cf. Ducasse… » De là à dire qu’avec Péret, c’est à chaque fois la saint Ducasse et la fête du beau comme… Quoi qu’il en soit, c’était une gageure d’entreprendre un ouvrage réunissant exclusivement un choix d’envois écrits au fil d’une vie de poésie, du Passager du transatlantique à La Brebis galante, pour finir par un renversement de point de vue, avec les dédicaces profondément amicales de Breton à Péret. La plupart du temps, la dédicace, on le sait, est prélevée dans l’ouvrage qui en procure l’occasion ; du coup, parcourir ces pages revient peut-être à s’emparer des concrétions poétiques qui avaient automatiquement retenu l’attention de leur inventeur, lorsqu’il songeait au dédicataire. Mais l’envoi ne se résume pas forcément à une reprise fulgurante adressée à un proche ; il peut être en forme de déclaration d’amitié ou d’amour ; il peut aussi, au comble de l’ambiguïté, se charger, à tort ou à raison, de multiples sous-entendus. Il ouvre la porte aux spéculations hasardeuses, puisque contre toute attente un livre ne vise plus un lecteur anonyme. Effectuée par les soins de Dominique Rabourdin, cette collecte patiente et, par la force des choses nécessairement incomplète, démontre au moins qu’avec Benjamin Péret la dédicace s’avère très rarement anodine. Par delà l’intérêt historique d’un tel recueil, son concepteur fut bien inspiré de solliciter la contribution de Jean-Claude Silbermann. Alors on n’a plus seulement affaire à des résonances entre les diverses publications de Péret et des noms propres qui ont peu ou prou marqué l’histoire du surréalisme; à travers ces dessins, un véritable dialogue analogique s’engage avec la poésie de l’auteur du Grand jeu. Ainsi, les mots et les vignettes s’entretiennent à merveille et l’on s’interroge, en lecteur et spectateur médusé, sur leurs sourdes connivences.
Jérôme Duwa
Benjamin Péret, La Légende des minutes. Envois choisis et présentés par Dominique Rabourdin. Vignettes de Jean-Claude Silbermann. Avant-propos de Gérard Roche, coll. « hURDLe », URDLA, avril 2015, 191 p., 20 euros.