Nul ne pouvait douter lors de la présentation d'Un chien andalou en 1928, au Vieux Colombier, qu'il goûtât le film ou qu'il lui répugnât, qu'il fût favorable ou hostile, qu'un poète de l'écran venait de se manifester. Pour la première fois, le cinéma, faisant fi de la vaine anecdote, tentait de plonger jusqu'au fond du gouffre de l'âme humaine en vue de ramener à la surface les bêtes grimaçantes qui y mènent une existence de lions en cage prêts à dévorer leur gardien. Ce film des profondeurs, en révélant au spectateur ce qu'il s'obstinait à cacher en lui-même ne pouvait manquer de l'irriter. Il se sentait soudain nu devant ses propres yeux comme devant ceux des autres, à même désormais de le mesurer tel qu'il était, dépouillé des beaux sentiments dont il se plaisait à s'affubler. Aussi la réaction du public fut-elle dépourvue d'aménité, bien que l'hostilité provoquée par le film ne se manifestât qu'à demi.

Benjamin Péret, "L'oeuvre cruelle et révoltée de Luis Bunuel", Arts, 28 août 1952.





Un chien Andalou de Luis Bunuel (extraits)