J'irai veux-tu

Il était une grande maison
sur laquelle nageait un scaphandrier de feu

Il était une grande maison
ceinte de képis et de casques dorés

Il était une grande maison
pleine de verre et de sang

Il était une grande maison
debout au milieu d'un marécage

Il était une grande maison
dont le maître était de paille
dont le maître était un hêtre
dont le maître était une lettre
dont le maître était un poil
dont le maître était une rose
dont le maître était un soupir
dont le maître était un virage
dont le maître était un vampire
dont le maître était une vache enragée
dont le maître était un coup de pied
dont le maître était une voix caverneuse
dont le maître était une tornade
dont le maître était une barque chavirée
dont le maître était une fesse
dont le maître était la Carmagnole
dont le maître était la mort violente

Dites-moi dites-moi où est la grande maison

Benjamin Péret, Le Grand jeu, Paris, Gallimard, 1928.
Oeuvres complètes
, tome 1, Le Terrain vague, Eric Losfeld, 1969,
p. 162.


André Breton lit: "J'irai veux-tu"




Les puces du champ


Laboure à tour de bras
Laboure les champs les rues les quais
et sèmes-y ce que tu voudras
des pavés de la fumée ou des bouteilles
mais laboure laboure comme un fou
et répands de l'engrais sur les pierres
pour y faire fleurir des drapeaux
mais qu'ils soient rouges
Les pluies et les vents te seront propices
si tu portes les aiguilles d'une montre à tes oreilles
et la récolte sera bonne comme la soupe de ta femme

Laboure ton champ et tous les autres
avec tes pieds avec ton nez
Défonce les haies comme un taureau
en chantant

Dans le Rousillon
il y avait un laboureur
qui sonnait de la bêche
il n'avait qu'une tête et deux bras
quatre pieds et deux yeux
une oreille et trois dents
mais c'était un laboureur
qui ne perdait pas son temps

Benjamin Péret, Le Grand jeu, Paris, Gallimard, 1928.
Oeuvres complètes
, tome 1, Le Terrain vague, Eric Losfeld, 1969,
p. 221

André Breton lit "Les puces du champ"