Le livre passionné et passionnant de Barthélémy Schwartz est le premier à couvrir aussi largement la vie de Benjamin Péret et le champ de toutes ses activités, en lui donnant la parole aussi souvent que possible. Entrepris au début des années 1990 dans le cadre d’une maîtrise d’histoire contemporaine, il est le résultat de plus de vingt-cinq années de recherches sur un personnage qu’il admire et aime profondément. « J’ai d’abord été intéressé par le surréalisme, écrit Schwartz, et particulièrement la dialectique poésie/révolution (donc d’abord Breton et Péret), ce qui m’a amené à la lecture de Marcuse, puis à découvrir les situationnistes, et enfin l’approche marxiste non-autoritaire et anti-avant-gardiste (communiste libertaire, conseils). Mon regard sur Péret tel qu’il apparaît dans Péret l’astre noir du surréalisme est le fruit de tout cela. »
Barthélémy Schwartz, Benjamin Péret : L’astre noir du surréalisme. Libertalia, 334 p., 18 €
« J’en parle de trop près comme d’une lumière qui, jour par jour, trente ans durant, m’a embelli la vie », écrit Breton dans son Anthologie de l’humour noir. Par la suite, les premières études consacrées à Péret sont celles de surréalistes ou apparentés, Jehan Mayoux, Jean-Louis Bédouin, Claude Courtot, Jean-Christophe Bailly, Jean-Michel Goutier. Pour Schwartz, il s’agit de « replacer la trajectoire de Péret dans les enjeux utopiques du surréalisme, un mouvement qui, le proclamait Breton, voulait à la fois ‟transformer le monde” (Marx) et ‟changer la vie” (Rimbaud) ».Sans oublier que Breton ajoutait, qui est capital : « ces deux mots d’ordre pour nous n’en font qu’un ».
Longtemps, Benjamin Péret a été considéré comme un des éléments les plus irréductibles du groupe surréaliste, celui qui n’a peur de rien, scandalise le public du « procès Barrès » avec son apparition en soldat inconnu allemand marchant au pas de l’oie, celui qu’une photographie publiée dans La Révolution surréaliste, avec cette simple légende, « notre collaborateur Benjamin Péret insultant un prêtre », a fait passer à la postérité. Ces hauts faits ont paradoxalement occulté le magnifique « poète c’est-à-dire révolutionnaire » qu’il s’est voulu avant tout. Occulté par des personnages de l’éclat d’Aragon, Breton, Éluard, Desnos et autres « étoiles » de la « constellation surréaliste, celui que ses amis appelaient affectueusement « Benjamin l’impossible » ou « notre mouton noir » est resté si longtemps dans leur ombre qu’il est devenu une étoile oubliée, « un astre noir ». D’où le titre qu’a choisi Barthélémy Schwartz, au risque qu’on y voie une référence au drapeau noir des anarchistes.
De nombreux textes et correspondances de Péret lui-même et de ses proches ne cessent d’éclairer son propos, les plus importants étant ceux de Breton, tout au long de sa vie, et de Pierre Naville dans son livre de souvenirs, Le temps du surréel [1]. Comme souvent dans le cas de recherches universitaires, son travail a été malheureusement élagué pour l’édition. La partie biographique en souffre. Il ne reste rien ou presque de l’enfance de Péret, de sa découverte de la poésie, de la guerre, tout ce qui précède Dada. L’origine de sa révolte reste un mystère, mais le ton est donné par ces quelques mots du Temps du surréel, qui laissent rêveur : « Lorsque je me liais à lui, Benjamin Péret était lié, au-delà de Dada, d’une soif de révolte qu’aucune écriture ne pouvait étancher. » Sa haine de la religion n’est pas davantage expliquée. Il n’est sans doute pas sans importance pour celui qui allait écrire : « il faut tuer sa mère pendant qu’elle est jeune » que la sienne ait été bigote. « Il n’était pas facile de se maintenir au diapason anticlérical qui était le sien », admire Naville.
À corps perdu
En 1924, dans son Manifeste du surréalisme, Breton range Péret parmi ceux qui ont « fait acte de surréalisme absolu ». En 1952, il rappelle dans ses Entretiens que si Naville (devenu en 1927, après son exclusion du Parti communiste, un des responsables de l’opposition de gauche en France) et Péret ont été désignés aux premières heures du surréalisme pour diriger La Révolution surréaliste, c’est parce qu’ils étaient « les plus intégralement animés du nouvel esprit et les plus rebelles à toute concession ».
Avant même les débuts du surréalisme, Péret s’est lancé à corps perdu dans l’écriture automatique. Il lui gardera une confiance illimitée. « L’automatisme est un moyen accessible à tous de se libérer des contraintes liées aux inhibitions sociales », explique Naville ; pour Péret, « l’essentiel de l’apport de cette méthode à la poésie était là. C’est cela qui donnait aussi, selon lui, tout son sens à l’aventure surréaliste ». L’écriture automatique est en elle-même une révolte contre l’ordre établi, et déjà en poésie. « La colère de Benjamin Péret se situait au-delà des mots », précise Schwartz. « Il n’y avait chez lui aucune fascination pour la bourgeoisie éclairée, ouverte aux arts et aux expérimentations des avant-gardes, mais une rage contenue que les déclarations collectives, les invectives du groupe surréaliste ne pouvaient suffire à satisfaire. Elle puisait au cœur de son rapport au monde, dans sa détestation de la société capitaliste, et de manière générale de toutes les sociétés d’exploitation [2]. » Son côté « brut de décoffrage » fait qu’il ne recule devant rien. Donc l’auteur de Je ne mange pas de ce pain-là détestera sa vie durant « les curés, les flics et les commerçants ». Bientôt les staliniens…
La Révolution encore et toujours
Péret est le premier des surréalistes à adhérer au Parti communiste, dès 1926. Il collabore à L’Humanité. Un an plus tard, au moment où Breton, Aragon, Éluard et quelques-uns de leurs amis y entrent, il est, mieux informé qu’eux, le premier à en sortir, « sur la pointe des pieds ». Il a vite compris que le Parti communiste n’était plus, ne pouvait pas être le parti mondial de la révolution. Ses années passées au Brésil de 1929 à 1931, où il est l’un des fondateurs de la ligue trotskiste, et l’expérience des luttes menées contre le Parti communiste brésilien renforcent sa conviction que « désormais la bourgeoisie et ses intermédiaires n’étaient plus les seuls adversaires de classe du monde ouvrier, un nouvel ennemi était apparu, plus dangereux car se présentant comme un défenseur des intérêts ouvriers : le stalinisme ». Sa vie durant, Péret ne cessera de s’y opposer, ainsi qu’à la ligne orthodoxe de l’Internationale communiste : Moscou.
Cet homme qui ne s’est « jamais prémuni devant l’existence » (belle formule, signée Aragon) est toujours resté dans le camp de la révolution, avec une confondante absence de toute précaution, et sans se contenter de mots. Schwartz analyse avec une clarté remarquable ses activités militantes ininterrompues. Au Brésil, il connait la prison avant d’être expulsé « pour raisons politiques ». En 1936, au début de la guerre, il est envoyé par le P.O.I. (Parti ouvrier internationaliste) en mission en Espagne pour chercher les conditions d’un travail commun avec le POUM (Parti ouvrier d’unification marxiste). Il a bien l’intention, comme il l’écrit à Breton, « de participer à la musique ». « Jusqu’à la fin, c’est-à-dire jusqu’à la victoire », espérait-il. Il finit par se retrouver au front dans une milice anarchiste, la division Durutti, et, devant la très mauvaise tournure des évènements, doit rentrer en France. Mais il a rencontré Remedios Varo, sa future femme, et le militant trotskiste Grandizio Munis, qui restera le plus proche et le plus radical de ses compagnons de lutte. En 1939, il rejoint la FIARI (Fédération internationale de l’art révolutionnaire indépendant), créée en 1938 par Breton et Trotski lors de leur rencontre au Mexique. Breton lui confie la responsabilité éditoriale de Clé, l’organe de de la FIARI, dont le gérant est Léo Malet. Il travaille avec un jeune trotskiste, Maurice Nadeau, qui s’en souviendra en lui dédiant, en 1944, la première édition de son Histoire du surréalisme.
En mai 1940, en France, Péret est emprisonné pour « activités antimilitaristes ». Les États-Unis refusant de l’accueillir, il s’embarque pour le Mexique où il rejoint Munis et Natalia Sedova – Trotski dans le « groupe trotskiste espagnol de Mexico ». Ils prendront ensemble en 1948 la décision de rompre avec la Quatrième Internationale. « Éternel optimiste », il aura encore l’énergie, les derniers mois de sa vie, de fonder à Paris avec Munis le groupe marxiste d’ultragauche Fomento Obrero Revolucionario, léniniste selon Schwartz. « Mener de front un parcours poétique et politique, c’était emprunter des voies parallèles dont on supposait qu’elles se rejoindraient un jour, hypothétiquement. » Doit-on en conclure que la révolution surréaliste, si splendide fût-elle, n’aura été qu’une utopie, un rêve ? La grandeur de Benjamin Péret est de ne jamais cesser d’y croire. Le surréaliste belge Marcel Mariën, beaucoup plus désabusé, dira à la fin de sa vie, à propos de l’attitude de Breton : « Toujours un mirage poétique ».
Marginal à l’intérieur du surréalisme ?
Aujourd’hui, en relisant les poèmes du Grand Jeu et de Je sublime et ces véritables « manifestes révolutionnaires » que sont La parole est à Péret et Le déshonneur des poètes, on sait que l’on est au cœur du surréalisme, on ne peut imaginer qu’ils puissent en être séparés. Pour Schwartz, « l’engagement politique, singulier et obstiné de Péret dans les mouvements révolutionnaires de son temps était moins redevable au surréalisme qu’il ne lui était propre, son absence complète de compromission et d’ambition ‟littéraire” et sa liberté dans tout ce qu’il entreprenait l’ayant laissé sa vie durant à l’écart et en ayant fait, à la différence des autres surréalistes, un marginal à l’intérieur du surréalisme ». C’est ne pas voir que la grande majorité des tracts et déclarations collectives du surréalisme sont de caractère politique, que Péret en a écrit une bonne part, et (à l’exception de Rupture inaugurale, en 1947) les a tous signés. Il aurait été plus juste de saluer en lui le poète surréaliste par excellence à l’intérieur d’un groupe surréaliste dont Schwartz donne l’impression de ne pas trouver convaincant le militantisme politique. Péret a cru lui aussi à la « capacité révolutionnaire de la poésie et de la peinture qui fut, depuis les origines du mouvement, l’ambition suprême du surréalisme [3] », même si elle peut paraître utopique. Ce n’est pas dans le surréalisme que Péret est marginal, mais en politique.
L’exil. Correspondances Breton-Péret
Soucieux de vivre selon ses convictions, Péret ne se prive jamais d’exprimer ses désaccords, y compris avec Breton. Le plus important porte, en 1942 – Breton s’est exilé à New York, Péret à Mexico –, sur l’avenir du surréalisme et l’action politique. Schwartz cite longuement leurs lettres : « Je te conjure en particulier de ne pas te consacrer trop exclusivement à l’action politique qui me paraît devoir entraîner plus de déception et d’arbitraire que jamais », écrit Breton le 4 janvier 1942. « Je suis absolument convaincu de ton pouvoir beaucoup plus efficace sur un autre plan où il faut que nous hâtions de nous recomposer. Je me permets de te dire cela sachant ce que cette action politique avait eu pour toi de dévorant au Brésil. » « Je n’ai nullement l’intention de me consacrer à la politique, mais celle-ci ne peut pas me laisser indifférent et je ne crois pas qu’elle puisse laisser qui que ce soit d’entre nous indifférent », répond Péret ; « Je suis persuadé qu’il va falloir abandonner beaucoup du surréalisme, presque tout sans doute […] Je crois aussi que si nous réussissons à mettre sur pied quelque chose de nouveau, il nous faudra abandonner le mot surréalisme pour couper avec le passé et semer la bande de suiveurs essoufflés qui s’attachera au surréalisme dépassé ». Ouvrons une parenthèse : trois ans plus tard, en 1945, dans le catalogue de la première exposition surréaliste de l’après-guerre, à Bruxelles, Paul Nougé, un des personnages les plus éminents du groupe surréaliste belge, arrivera à la même conclusion : « Exégètes, si vous voulez y voir clair, RAYEZ le mot surréalisme. »
Après sa découverte des communautés primitives au Brésil puis celle, au Mexique, des civilisations précolombiennes, de la pensée et de la culture indienne, Péret entreprend un long travail de recherches pour une Anthologie des mythes, légendes et contes populaires des Indiens d’Amérique qui ne sera publiée qu’après sa mort. Il a, à l’évidence, bien entendu ce que Breton vient de lui écrire quand il en termine la préface, qu’il lui envoie en juin 1942. La réponse de Breton est enthousiaste : « Comment ? Tu écris un texte de toute importance, cette préface, c’est même la première fois que tu te décides à t’exprimer d’une manière autre que strictement poétique, en dépit de mes insistances de vingt ans. Et c’est mieux qu’une réussite, tu donnes du premier coup, comme j’ai eu maintes fois l’occasion de le dire et comme chacun en a convenu avec enthousiasme autour de moi, le premier grand texte manifeste de cette époque, ce que nous pouvons appeler, entre nous, un chef-d’œuvre. » Péret n’a de cesse de la publier en 1943 à New York, aux « éditions surréalistes », sous le titre La parole est à Péret. Elle est indissociable du non moins important Déshonneur des poètes, publié à Mexico en 1945 sous le sigle Poésie et Révolution.
Derniers vestiges de l’âge d’or
Le combat pour la liberté peut prendre les formes les plus diverses. « Chez Péret, les recherches sur le langage, les découvertes des civilisations anciennes et primitives restaient inséparables d’une critique globale de la civilisation occidentale (la ‟modernité”), qui incluait non seulement le large domaine de la culture mais aussi les rapports sociaux, l’économie, les idéologies, l’aliénation ou encore la politique. L’approche poétique du monde ne pouvait se dissocier d’un engagement politique », écrit justement Schwartz, mais il ajoute à propos de cet engagement politique, et c’est là qu’on a du mal à le suivre, « qu’il ne l’exigeait en revanche jamais des autres surréalistes ». C’est méconnaitre que certains d’entre eux, souvent des intimes de Péret, étaient personnellement très impliqués dans les luttes politiques, avec les risques que cela comporte.
Retour en France
Dès son retour en France, en 1946, Breton demande à Péret de le rejoindre : « J’ai absolument besoin de toi. Tu ne peux pas savoir à quel point ta position est forte à Paris dans la jeunesse (les lettres de jeunes gens et d’inconnus s’accumulent sur ma table par centaines, voilà qui fixe encore mieux la situation actuelle que tout le reste. Il faudrait décider de cette énergie, mais comment ? Aide-moi). Chaque fois qu’il s’agit encore d’intransigeance, de pureté, de refus suprême de composer, je n’exagère pas en disant que c’est ton nom qui est mis en avant. » En réponse, Péret lui envoie Main forte, un recueil de ses contes, ainsi dédicacé : « Rien qu’un mot : nous tiendrons le coup ensemble jusqu’au bout. » À l’appui de sa théorie de la marginalité de Péret à l’intérieur du surréalisme, Schwartz cite le témoignage de Maurice Nadeau quelques mois avant sa mort, pour le film de Rémy Ricordeau, Je ne mange pas de ce pain-là, Benjamin Péret, poète c’est-à-dire révolutionnaire [4] : « J’avais fait une interview de Breton quand il est rentré. Je ne sais pas si je lui ai parlé de Péret. Mais ça m’étonnait que Péret ne puisse pas rentrer. Je me doutais, mais je ne savais pas que c’était pour des raisons financières. Parce qu’il n’avait pas d’argent pour rentrer et personne ne s’occupait de lui. » En 1947, à l’initiative de Breton, les amis peintres et écrivains de Péret (d’Arp à Tanguy, en passant par Ernst et Picasso, tous répondent présent) offrent des peintures, des dessins ou des manuscrits, mis en vente à son profit. L’argent récolté lui permet de rentrer en France, aux premiers jours de 1948.
Dernières polémiques
La place manque à Schwartz pour aborder toutes les activités de Péret pendant les dernières années de sa vie. Son nouveau voyage au Brésil de mai 1955 à avril 1956, ses recherches sur la révolte des esclaves fugitifs de la Commune des Palmares au XVIIe siècle et son séjour chez les Indiens d’Amazonie où il espère trouver les derniers vestiges d’un âge d’or l’intéressent davantage que ses activités surréalistes, et même politiques quand il les exerce dans le cadre du groupe. L’auteur fait l’impasse sur des textes importants qu’il n’est pas censé ignorer. Il est paradoxal que, dans un livre publié par Libertalia, éditeur « libertaire », il ne soit pas question de la polémique engagée en 1952 autour de L’Homme révolté avec la Fédération anarchiste de Georges Fontenis, favorable à Camus. Dans sa réponse, « Le révolté du dimanche », publiée par les surréalistes dans une brochure intitulée Révolte sur mesure, Péret revendique, une fois de plus, une liberté sans limite, une révolte absolue : après avoir donné à Camus une solide leçon de marxisme, il lui reproche de « tenter d’assujettir à la révolte la muselière de la mesure », l’empêchant ainsi de se transformer en révolution. Benjamin Péret En revanche, Schwartz n’hésite pas à citer largement la réponse de Péret – qui se définit alors comme « un militant isolé », ce qui signifie que son opinion n’engage que lui – en août 1956 à un questionnaire de la Fédération communiste libertaire, et dresse un dernier bilan, sans appel, de son rapport avec les divers mouvements anarchistes : « L’anarchisme a une véritable phobie de certains mots (parlementarisme, État, parti) et croit en une vertu magique de l’exemple dont il surestime considérablement la portée. L’anti-autoritarisme et l’anti-étatisme anarchistes n’ont pas résisté à l’épreuve des faits. La révolution espagnole a montré l’inconsistance des théories anarchistes dans ce domaine, puisque les représentants de la FAI (Fédération anarchiste internationale) se trouvaient à côté de ministres staliniens, socialistes et libéraux dans les gouvernements de la zone dite ‟républicaine”. Faute d’avoir pu supprimer l’État en général, ils se sont associés à l’État capitaliste. L’anarchisme ne se remettra pas de cette faillite. » Guy Prévan, l’auteur de Péret Benjamin, révolutionnaire permanent [5], que Schwartz cite à plusieurs reprises (mais pas cette fois), « conseille la lecture de cette appréciation à tous les plaisantins écervelés qui, un jour sur deux, nous bassinent avec un Benjamin Péret qu’ils déguisent en anarchiste ».
En 1954, alors qu’il a pour sa part cessé de militer dans des organisations trotskistes depuis 1948, Péret publie un long article sur Trotski dans la revue surréaliste Medium dirigée par Jean Schuster : « Sa vie ». Péret revient méthodiquement sur l’ensemble des questions que soulève le rôle de Trotski dans l’histoire de la révolution prolétarienne. Sa conclusion est sans appel : « Peu de temps avant sa mort, Trotski envisageait, pour l’avenir, une révision générale des théories et méthodes révolutionnaires […] Tout le mouvement révolutionnaire depuis le début de ce siècle demande à être étudié de nouveau en dehors de tout fidéisme ». À défaut d’être encore trotskiste, Péret est resté profondément marxiste. Schwartz ne s’y réfère pas.
La politique est dévorante
Admirateur de la poésie de Péret, Schwartz n’aborde pas les problèmes de l’édition de ses recueils de poèmes, presque toujours publiés à compte d’auteur avec un raffinement extrême (Le passager du transatlantique, Dormir dans les pierres, De derrière le fagot, Je sublime). Ils sont inséparables des peintres amis et complices qui ont trouvé le moyen de l’aider à vivre en les illustrant. Péret les remerciait en écrivant pour eux des préfaces qui vont directement à l’essentiel, aux sources de leur art, avec une invention étourdissante. « Toute recherche désintéressée sert en effet toujours la cause de l’émancipation totale de l’homme. » Cette déclaration-utopique (?), écrite à l’occasion d’une exposition Styrsky en 1948, pourrait s’appliquer à tous les peintres qu’il aime. Parmi eux, entre tous, Tanguy, Miró et Toyen. Ces quelques « impasses » n’empêchent pas ce livre d’être fort, important et souvent émouvant. L’auteur le conclut, en beauté, en donnant le mot de la fin à la poésie avec une belle anthologie de près de soixante pages.
L’avenir des illusions
Barthélémy Schwartz, finalement, ne serait-il pas à sa manière un « militant isolé » ? Il a tenu à garder ses distances avec presque tous ceux qui se réclament encore du mouvement surréaliste et avec l’Association des amis de Péret [6], qui a tout de même réalisé les sept volumes de ses Œuvres complètes [7], réédité ses livres, révélé des inédits, un florilège de ses plus beaux « envois », participé au (bon) film de Rémy Ricordeau, et publie régulièrement des Cahiers avec des dossiers importants. Schwartz ne s’y réfère pas. Le Cahier 2 contient une correspondance avec Jean-Louis Bédouin essentielle pour comprendre les rapports de Péret avec la génération surréaliste d’après-guerre, et le Cahier 5 vient de paraitre, avec celle de son vieil ami libertaire Jehan Mayoux. Aujourd’hui Péret, de moins en moins oublié, ne peut plus être considéré comme « l’astre noir du surréalisme ». Il est, de plus en plus, « beau comme un astre ». L’auteur avait écrit en conclusion de la première version de son ouvrage une dédicace disparue depuis. Elle donne toujours le ton :
« J’ai écrit ce livre
Pour celles et ceux
Qui croient à l’avenir de leurs illusions ».
1. Pierre Naville, Le temps du surréel, Galilée, 1977.
2. Barthélémy Schwartz, Benjamin Péret l’astre noir du surréalisme.
3. Claude Courtot, préface à Jérôme Duwa, Les batailles de Jean Schuster, L’Harmattan 2015.
4. Rémy Ricordeau, Je ne mange pas de ce pain-là, Benjamin Péret, poète c’est-à-dire révolutionnaire, DVD, collection « Phares » dirigée par Aube Elléouët-Breton, Seven Doc, Grenoble, 2015
5. Péret Benjamin, révolutionnaire permanent, Syllepse 1999.
6. Association des amis de Benjamin Péret, 50 rue de la Charité, 69 002 Lyon.
7. Toujours disponibles aux éditions José Corti.
Article paru sur le site de En attendant Nadeau