Max Schoendorff, peintre, fondateur de l'URDLA et membre depuis de longues années de l'Association des amis de Benjamin Péret, est mort d'un arrêt cardiaque, le samedi 20 octobre 2012.
Max Schoendorff laisse derrière lui une œuvre considérable et foisonnante : des centaines de peintures, dessins, gravures, lithographies dont l’originalité, dans les marges du surréalisme, reste encore à découvrir tant elle a été longtemps ignorée dans sa ville natale jusqu’à une époque récente où Sylvie Ramond lui a offert au Musée Saint-Pierre une place à sa mesure .
D’abord orienté vers l’étude de la philosophie et l’enseignement, il opta pour la peinture au milieu des années cinquante. Après des débuts prometteurs à la galerie René Drouin à Paris, interrompus par trois années de service militaire, il décida de demeurer à Lyon dans un atelier qu’il se plaisait à croire occupé jadis par Paul Chenavard, au cœur de la presqu’île, à deux pas du 6 rue d’Auvergne où Baudelaire avait séjourné enfant. A contre-courant de la peinture des années cinquante et soixante, alors en pleine abstraction, il parvient à maintenir le cap d’une œuvre originale héritière du surréalisme, proche par certains côtés de l’œuvre d’André Masson, mais faisant preuve d’une inventivité et d’un lyrisme très personnels. Avec Bernard Chardère, Roger Planchon et Robert Droguet (poète et typographe) il entretient des rapports électifs et une connivence intellectuelle qui les portent vers Bataille, Breton et Sade. Il entame une carrière de décorateur de théâtre, travaille avec Planchon, ensemble ils adaptent les pièces d’Adamov et de Vinaver. Dans les années 1970, il collabore, entre autres, avec le metteur en scène Jacques Rosner, travaille pour le T.N.P. de Villeurbanne, la Comédie-Française, les Opéras de Paris et de Lyon, ou encore le Schiller Theater de Berlin.
Si pendant de longues années il n’expose pas à Lyon, sa peinture commence à être connue dans les années quatre-vingt en France grâce à son marchand Jacques Verrière et à l’étranger. Ce n’est que depuis l’exposition Dépaysage à l’Embarcadère (1996) que l’on a pu voir la partie la plus récente de son œuvre avec, par la suite, Neuf autoportraits de dos (1998), Ballade d’automne (2004), puis des dessins et des lavis à la galerie Mathieu (2009 et 2011). La peinture de Max Schoendorff, comme l’écrit Jean-Jacques Lerrant, emprunte tout un vocabulaire charnel, elle « fouille, explore et inventorie l’au-delà des apparences » mais « elle est, dès l’abord, opacité, accumulation d’obstacles, forêt organique que le peintre retrousse dans l’humidité des muqueuses et les aspérités du terrier ». A la fois méticuleuse et ample l’œuvre s’exprime pleinement aussi bien dans la toile monumentale que dans le modeste croquis, le dessinateur étant l’égal du peintre. Comme le souligne José Pierre, la peinture de Max Schoendorff est le théâtre « d’une confrontation permanente, de l’ordre le plus déchirant qu’il soit, entre des forces antagonistes que rien ne saurait décider à pactiser jamais ».
Ce que Max Schoendorff laisse aussi en héritage c’est l’activité plus que jamais vivante de l’URDLA qu’il a présidée jusqu’à sa mort. Centre international de l’estampe dont le gigantesque atelier à Villeurbanne est sans équivalent en Europe et qui compte à son actif l’édition de plus de 2000 œuvres. Créée en 1978, à partir du sauvetage de l’atelier de lithographie Badier qui végétait, puis par le sauvetage d’une dernière grande presse de l’atelier Maeght promue à la casse, l’URDLA a permis à des dizaines d’artistes aujourd’hui de renommée internationale comme Wolf Vostell, Jacques Villeglé, Mario Merz, Bob Wilson, Fabrice Gygi, ou d’autres, comme Philippe Favier, Denis Laget, Patrice Vermeille de réaliser des gravures.
Mais je ne saurais dépeindre la personnalité de Max Schoendorff sans évoquer l’homme doté d’une immense culture et tout entier habité par la passion des livres. De son immense bibliothèque composée de plus de trente mille ouvrages il tirait une nourriture irriguant en permanence son œuvre de peintre. Dans ce portrait de Paul Chenavard par Baudelaire je ne puis m’empêcher de voir celui de Max Schoendorff : « L’amour des bibliothèques s’est manifesté en lui dès sa jeunesse ; accoutumé tout jeune à associer une idée à chaque forme plastique, il n’a jamais fouillé des cartons et des gravures ou contemplé des musées de tableaux que comme des répertoires de la pensée humaine en général. Curieux de religions et doué d’un esprit encyclopédique, il devait naturellement aboutir à la conception impartiale d’un système syncrétique . » Mais contrairement au jugement de Baudelaire qui voyait en Chenavard un « philosophe lyonnais », Max Schoendorff était tourné vers les formes les plus universelles de la culture.
J’ai souvent entendu Max Schoendorff affirmer qu’il n’était pas un bibliophile mais au contraire un « bibliomane ». Pour lui, en effet, les livres n’étaient pas des valeurs marchandes pour garnir les comptes en banque mais des objets vivants que l’on caresse, dont les pages frémissantes étaient un aliment permanent, indispensable à la pensée et à l’imaginaire sans lesquels il ne pourrait exister un art authentique.
Gérard Roche
Lyon, le 9 mai 2013.
1. URDLA 207, rue Francis-de-Pressensé. Villeurbanne. 04 72 65 33 34. Site internet : http://www.urdla.com.
2. Voir Odile Schoendorff, « Schoendorff, professeur d’allemand au Lycée du Parc » , L’Echo du Parc, n° 46, décembre 2011.
3. Max Schoendorff, « Accrochages », Musée Saint-Pierre, mai 2011.
4. Jean-Jacques Lerrant, « Histoires », Max Schoendorff, Eric Losfeld, « Le terrain vague », 1969.
5. José Pierre, Schoendorff. Ses pompes et ses œuvres, Fondation Léa et Napoléon Bullukian, 1986.
6. Charles Baudelaire, « L’Art philosophique », in L’Art romantique, 1868.