Peu enclin à faire double emploi avec les propos largement convenus et le florilège de banalités qui auront suivi l’annonce du décès de Julien Gracq en décembre dernier, c’est le nom de Benjamin Péret que j’entends associer à celui de l’auteur du Château d’Argol. Et pas seulement parce que l’un et l’autre, à onze années d’intervalle, auront naturellement fait l’apprentissage de la lumière et du vent de galerne au gré des sautes d’humeur du fleuve des pibales et des anciens gabariers.

Remarquons d’abord que lors de l’immédiat après-guerre, en un temps où le surréalisme et donc André Breton retour des USA se retrouvèrent la cible de tous ceux-là qui – des thuriféraires de Staline aux glapisseurs de dieu, des adeptes du néant existentiel aux sociétaires d’une lettrie onomatopéique, sans écarter tel contempteur de la révolte – prétendaient occuper l’espace et l’avenir, il n’est certes pas sans signification d’ouïr s’élever parmi les voix les plus autorisées celle de Julien Gracq avec son André Breton – quelques aspects de l’écrivain en 1948 et, l’année suivante, à la mi-juillet, celle de Benjamin Péret écrivant à l’île de Sein son poème Toute une vie.

Mais c’est également l’époque où, chacun dans sa partie, ils auront assumé la liberté grande de traiter dans les règles de l’art du pamphlet, Péret, à Mexico, en 1945, d’aucuns poètes ou assimilés qui viennent de se faire gloriole et renom d’avoir dévoyé la poésie jusqu’à en faire l’auxiliaire propagandiste et la mouche du coche d’une activité résistante, qui, n’en déplaise aux divers cénacles d’écrituriers atteints de suraiguë patrioterie, n’aurait vraiment rien risqué de faire l’impasse sur de tels adjuvants, ce sera Le Déshonneur des poètes, et Gracq à Paris, en janvier 1950, dans la revue Empédocle (n°7), les mœurs littéraires et  paralittéraires, voire pseudo- littéraires, qui égayent et aussi bien gangrènent déjà la scène, les coulisses et les à-côtés des sérails et pelouses de l’édition, ce sera La Littérature à l’estomac.
Comme ce sera, l’année d’après, le refus du prix Goncourt attribué au Rivage des Syrtes. Façon toute gracquienne d’affirmer : Je ne mange pas de ce pain-là.

8 avril 2008

Guy Prévan

Trois cerises et une sardine,n°22, mai 2008

 

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Benjamin Péret, poète, d’un seul tenant, est mort très riche – laissons les critiques s’en apercevoir après-demain. Il me semble que peu lui importait. Je ne veux ce soir que rouvrir ses poèmes et me laisser arrêter par un titre, titre dédié à l’amitié et à la fidélité, qui ôterait aujourd’hui même à ses ennemis l’envie de sourire : « Toute une vie ». Mot auquel si peu d’existences peuvent se mesurer, mais la suivre oui, qui agrandit, pour moi, infiniment ses poèmes, et que la mort aujourd’hui contresigne – c’est si rare – impeccablement.

Julien Gracq, Arts, 30 septembre 1959.