D’abord Crevel, il y a si longtemps; et puis Desnos; et puis Artaud; et puis Eluard: pour les remplacer, il m’a bien fallu me fabriquer des images. Et c’est d’une image de Péret dont j’ai brusquement besoin ce 19 septembre, après le coup de fil de Lise Deharme; cette icône qui n’est destinée qu’à moi-même, je l’envoie cependant à Lise, pensant qu’elle en a aussi besoin et qu’elle l’aimera, semblable à ce qu’elle aime, à mi-chemin de la réalité et du rêve, de la vie et de la mort, dans ce Paris de son coeur. Je vois d’abord une grande force tranquille, une force… comment dire ? « prolétarienne »; celle du bon ouvrier du Verbe, celui qui, comme Mumpty Dumpty, fait toujours travailler les mots à plein rendement, celui qui ne finit jamais sa journée; la force du poète à la fois le plus vrai et le plus surréaliste de son temps, de notre temps, du révolté à l’état pur, respectueux de la seule religion qu’il a entrepris de fonder et toujours prêt à renverser les idoles. Une force bonne, qui sait aimer, rester fidèle (n’est-ce pas, Breton ?). Et haïr bien sûr, puisqu’elle sait aimer (n’est-ce pas, Martinet ?). Elle fait foncer Péret en avant, d’un pas souple et assuré, épaules carrées, tête triangulaire...
Je le vois mieux maintenant : il est accoudé à un comptoir de l’avenue du Maine vers Alésia; c’est une fin de soirée avec des amis, au sortir de je ne sais quel spectacle ou de je ne sais quel meeting. Il porte un blouson de cuir serré à la ceinture, celui qu’il avait à Barcelone pour monter la garde sur la Rambla. Son regard clair va au-delà du cercle des interlocuteurs, au-delà du bistrot, de la fumée et des choses...
Je l’entends tout d’un coup: je retrouve dans le brouhaha de ma mémoire sa voix profonde, parfois curieusement hésitante sur ses lèvres minces; la plupart de ses phrases se terminent par un rire pas toujours étouffé, qui est à la fois doux et cruel (et pourtant ce n’est pas un rire d'enfant).
Sa main jette sa cigarette, sa dernière cigarette; elle serre son verre tout entier; elle le porte à sa bouche, le vide à fond comme Socrate sa coupe; elle le repose sur le zinc avec précaution... Elle passe un instant sur ses tempes dénudées, sur son front vaste – pour chasser quoi? quel moucheron ou quel malaise? Et voici qu’elle se tend vers ma main pour la saisir, pour me dire adieu – car il est l’heure de se quitter et d’aller dormir. Cette poignée me fait du bien: c’est si rare la main d’un homme.
Adieu, homme!
Je le vois mieux maintenant : il est accoudé à un comptoir de l’avenue du Maine vers Alésia; c’est une fin de soirée avec des amis, au sortir de je ne sais quel spectacle ou de je ne sais quel meeting. Il porte un blouson de cuir serré à la ceinture, celui qu’il avait à Barcelone pour monter la garde sur la Rambla. Son regard clair va au-delà du cercle des interlocuteurs, au-delà du bistrot, de la fumée et des choses...
Je l’entends tout d’un coup: je retrouve dans le brouhaha de ma mémoire sa voix profonde, parfois curieusement hésitante sur ses lèvres minces; la plupart de ses phrases se terminent par un rire pas toujours étouffé, qui est à la fois doux et cruel (et pourtant ce n’est pas un rire d'enfant).
Sa main jette sa cigarette, sa dernière cigarette; elle serre son verre tout entier; elle le porte à sa bouche, le vide à fond comme Socrate sa coupe; elle le repose sur le zinc avec précaution... Elle passe un instant sur ses tempes dénudées, sur son front vaste – pour chasser quoi? quel moucheron ou quel malaise? Et voici qu’elle se tend vers ma main pour la saisir, pour me dire adieu – car il est l’heure de se quitter et d’aller dormir. Cette poignée me fait du bien: c’est si rare la main d’un homme.
Adieu, homme!
Gaston Ferdière ( septembre 59)
Témoins, numéro 22, décembre 1959.
Trois cerises et une sardine, n° 13, novembre 2003.