Manuel Alvarez Bravo est né en 1902 à Mexico derrière la cathédrale « où se trouvaient autrefois les temples des anciens dieux mexicains », comme il aimait à le rappeler. Avec Gunther Gerszo, lui aussi récemment disparu, Leonora Carrington, Alice Rahon, Chiqui Weis, Manuel Alvarez Bravo faisait partie du cercle restreint des amis de Remedios Varo et de Benjamin Péret à Mexico. Celui qu’Octavio Paz appelait le « photopoète » avait été l’assistant d’Eisenstein, sur le tournage de Que Viva Mexico !, l’ami de Cartier-Bresson et ses photos avaient fasciné André Breton. A son retour, Breton présentera son travail dans l’exposition « Mexique » à la galerie Renou et Colle à Paris (1939). Péret saluera à son tour les « magnifiques photographies de Manuel Alvarez Bravo » témoignant de l’Art aztèque lors d’une exposition au Musée National de Mexico en 1943.
Je me souviens, non sans émotion, de cet après-midi de mars 1996, où avec Gunther Gerszo et Lourdes Andrade nous lui rendîmes visite dans sa maison pleine de fraîcheur. Dans le patio, tacheté d’ombre et de lumière, solitaire, il y avait un petit cheval de bois aux peintures délavées que l’on charge de feux d’artifice pendant les fêtes. Manuel faisait la sieste, qu’exigeait son grand âge, et fut ravi de retrouver Gunther Gerszo qu’il n’avait plus revu depuis des années. Il avait une gaîté d’enfant. Nous parlâmes de Péret – il s’en souvenait avec chaleur -, du surréalisme et, bien sûr, de photographie. Il découvrait Lourdes, rayonnante de vie et pleine de projets, dont le rire fusait dans notre conversation. La mort les aura saisis tous les trois presque en même temps.
L’étrange photographie de Manuel Alvarez Bravo, La Bonne Renommée endormie, d’une jeune femme, allongée, les yeux fermés, sur une terrasse en plein soleil, dont certaines parties du corps sont recouvertes de bandelettes, prend un sens nouveau, plus troublant et énigmatique encore. Le photographe-poète nous suggère une réponse : « On dit souvent que la mort est omniprésente dans mon œuvre, mais je récuse ce point de vue. Ce n’est pas la mort qui compte, mais sa conciliation avec la vie. La mort n’a de sens que si la vie existe à côté. » (à Patrick Roegiers, dans Le Monde, en 1986).
Trois cerises et une sardine, n°11, décembre 2002.