Un hommage inédit de E. L. T. Mesens à Benjamin Péret
Mon cher Benjamin,
Je savais depuis longtemps que tu étais gravement malade, mais j’aimais t’évoquer pour moi-même scandant tes invectives vitrioliques [sic], tout comme j’étais toujours enchanté de te voir en face de moi, à table dans un de ces petits restaurants, dépourvus de tout snobisme, où tu mangeais de bonnes et simples choses en faisant honneur au vin. Tu répondais par un « Pardi ! » approbateur à telle critique remarque. Nous étions de bons amis sans ombrage. Je ne m’attendais pas à ce que tu me refuses une autre de ces modestes fêtes.
Je savais aussi que tu allais bientôt changer d’adresse pour mieux te soigner, mais je ne pensais pas que tu choisirais si tôt une demeure définitive. « Dormir dormir dans les pierres » évoque le rêve immobile et horizontal. Car on ne t’enterre pas debout, c’est contraire aux usages, et tu n’es pas homme facile à statufier.
Mon cher Benjamin, je suis fier d’avoir été l’un des tout premiers en Belgique — après Paul Neuhuys — à te lire et à t’aimer. Dans les années 1921-22 nous nous réunissions tous les samedis après-midi dans la cuisine-véranda du jeune ménage Magritte. J’y lisais souvent à haute voix des poèmes de toi et de tes amis de la même époque. Tes textes suscitaient chez certains jeunes sagouins l’incompréhension et la colère. À tel point que, pour interrompre ma lecture, l’un d’eux m’envoya une pelle à feu à la tête. Magritte mit immédiatement ce petit monde à la porte … et pour nous commença une aventure capitale dont il est à peine suffisant de dire que tu en fus l’un des principaux initiateurs.
Je ne te dis pas adieu, Benjamin, puisque je reste ton ami.
[Manuscrit de 3 feuilles de E.L.T. Mesens. La première page est à en-tête du Daunou, hôtel, 6, rue Daunou, Paris, entre la rue de la Paix et l’avenue de l’Opéra.]
Texte vraisemblablement destiné à la revue Arts qui, dans son édition du 30 septembre au 10 octobre 1959, avait rendu un hommage à Benjamin Péret en publiant des textes brefs rédigés par treize de ses amis. Le texte de Mesens n’y figure pas. Celui-ci se plaint à Breton de la suffisance de la direction d’Arts à son égard (lettre du 7 octobre 1959 de Mesens à Breton, archives A. Breton, Bibliothèque littéraire Jacques Doucet).
Trois cerises et une sardine, n°15, 2004.