Mais l'immense intérêt de cet opuscule dépasse de beaucoup son objectif polémique, tout mesuré qu'il soit. Jaguer montre, sans en avoir l'air, que le surréalisme, en tant que groupe, a existé dans la liberté: liberté synchronique des attractions individuelles, notamment par rapport à André breton, liberté diachronique de moduler, le temps et l'histoire aidant, l'intérêt porté à tel ou tel écrivain.
Cela dit, la raison dialectique est au rendez-vous car cette double liberté ne s'accomplit que dans l'émerveillement, face aux éternels défis qui se nomment Sade, Swift, Baudelaire, Kleist, Lautréamont et Rimbaud.
Cela dit, la raison dialectique est au rendez-vous car cette double liberté ne s'accomplit que dans l'émerveillement, face aux éternels défis qui se nomment Sade, Swift, Baudelaire, Kleist, Lautréamont et Rimbaud.
Extrait:
Notons qu'au moyen de cette mise en cause de Racine, amenée de cette façon, Breton ne fait rien moins que stigmatiser l'abjecte soumission au pouvoir, pouvoir de la mode, d'une bureaucratie ou d'un tyran, qui est une des caractéristiques du littérateur soucieux de notoriété à quelque prix que ce fût. Peu importe le siècle, que le littérateur en question s'appelle Racine ou Aragon, que ce pouvoir soit celui de Louis XIV ou de Staline, et que le nom de son éminence grise soit Mme de Maintenon ou Jdanov. A cet égard, la règle d'or énoncée par Breton en 1923 vaut toujours plus ce littérateur, «grand classique» ou «hussard» tombé du dernier toit, semble à l'origine comblé par des dons «remarquables», et plus grand doit être l'opprobre qu'on lui témoigne dès lors qu'il déchoit en se soumettant au bon plaisir des puissants du jour.
Pourtant, la première revue «surréaliste» (en ceci qu'elle paraît sous la triple direction d'Aragon, Breton et Soupault), en mars 1919, il y a tout juste soixante-dix ans, s'appelle bel et bien Littérature. De cette première escarmouche avec le mot et la chose, Breton s'est expliqué dans ses Entretiens avec André Parinaud (1952) «Valéry a suggéré ce titre, qui est déjà chargé pour lui d'ambivalence, en raison du dernier vers de l'Art poétique de Verlaine : «et tout le reste est littérature». De son point de vue - celui de l'intellect - il ne peut manquer d'être plus favorable à cette «littérature» du «tout le reste» qu'à ce que Verlaine entend lui opposer, mais il rit sous cape et la perversité n'est sûrement pas absente de son conseil. En ce qui nous concerne, si nous adoptons ce mot pour titre, c'est par antiphrase et dans un esprit de dérision où Verlaine n'a plus aucune part». Dérision : Dada est passé par là, même si déjà le surréalisme pointe sous Dada.
Il n'en demeure pas moins que dans les premiers sommaires de la revue dirigée par les futurs fondateurs du surréalisme, on trouve les noms de Morand, Fargue, Giraudoux et Drieu La Rochelle mêlés à ceux d'Isidore Ducasse, Rimbaud, et bientôt Tzara et Picabia. Coexistence pacifique qui ne durera pas longtemps, mais qui est néanmoins significative de la bonne volonté initiale du surréalisme «en train de se chercher».
Donc, cette défiance à l'encontre de la littérature préexiste au surréalisme, elle s'affirme déjà ouvertement à travers tout le symbolisme (comme pour en combattre les trop réelles tendances à la préciosité, quand ce n'est pas, comme chez Verlaine justement, à la sensiblerie idiote), et l'on ne peut oublier les flèches enduites de curare décochées par Isidore Ducasse contre «Les Grandes Têtes Molles», Chateaubriand et Hugo compris. Mais Breton et ses amis qui ont écarté Verlaine et accueilli Rimbaud et Lautréamont, dans Littérature précisément vont faire de cette défiance, jusqu'à eux manifestée occasionnellement, une véritable machine de guerre contre la gent écrivassière. Celle-ci est trop irritante, à la fin, avec sa propension à donner au public ce qu'il attend, ce qui le flatte (ou l'offense, selon que les temps sont au «consensus» ou à la contestation, au «sado» ou au «maso»), et si le public en redemande, de «lui en fournir» à volonté, y compris dans ce qui flatte ses instincts les plus bas.
Pourtant, la première revue «surréaliste» (en ceci qu'elle paraît sous la triple direction d'Aragon, Breton et Soupault), en mars 1919, il y a tout juste soixante-dix ans, s'appelle bel et bien Littérature. De cette première escarmouche avec le mot et la chose, Breton s'est expliqué dans ses Entretiens avec André Parinaud (1952) «Valéry a suggéré ce titre, qui est déjà chargé pour lui d'ambivalence, en raison du dernier vers de l'Art poétique de Verlaine : «et tout le reste est littérature». De son point de vue - celui de l'intellect - il ne peut manquer d'être plus favorable à cette «littérature» du «tout le reste» qu'à ce que Verlaine entend lui opposer, mais il rit sous cape et la perversité n'est sûrement pas absente de son conseil. En ce qui nous concerne, si nous adoptons ce mot pour titre, c'est par antiphrase et dans un esprit de dérision où Verlaine n'a plus aucune part». Dérision : Dada est passé par là, même si déjà le surréalisme pointe sous Dada.
Il n'en demeure pas moins que dans les premiers sommaires de la revue dirigée par les futurs fondateurs du surréalisme, on trouve les noms de Morand, Fargue, Giraudoux et Drieu La Rochelle mêlés à ceux d'Isidore Ducasse, Rimbaud, et bientôt Tzara et Picabia. Coexistence pacifique qui ne durera pas longtemps, mais qui est néanmoins significative de la bonne volonté initiale du surréalisme «en train de se chercher».
Donc, cette défiance à l'encontre de la littérature préexiste au surréalisme, elle s'affirme déjà ouvertement à travers tout le symbolisme (comme pour en combattre les trop réelles tendances à la préciosité, quand ce n'est pas, comme chez Verlaine justement, à la sensiblerie idiote), et l'on ne peut oublier les flèches enduites de curare décochées par Isidore Ducasse contre «Les Grandes Têtes Molles», Chateaubriand et Hugo compris. Mais Breton et ses amis qui ont écarté Verlaine et accueilli Rimbaud et Lautréamont, dans Littérature précisément vont faire de cette défiance, jusqu'à eux manifestée occasionnellement, une véritable machine de guerre contre la gent écrivassière. Celle-ci est trop irritante, à la fin, avec sa propension à donner au public ce qu'il attend, ce qui le flatte (ou l'offense, selon que les temps sont au «consensus» ou à la contestation, au «sado» ou au «maso»), et si le public en redemande, de «lui en fournir» à volonté, y compris dans ce qui flatte ses instincts les plus bas.
Edouard Jaguer: Le surréalisme face à la littérature, Actual/Le temps qu'il fait, 1989.