ALLO

Mon avion en flammes mon château inondé de vin du Rhin
mon ghetto d'iris noirs mon oreille de cristal
mon rocher dévalant la falaise pour écraser le garde-champêtre
mon escargot d'opale mon moustique d'air
mon édredon de paradisiers ma chevelure d'écume noire
mon tombeau éclaté ma pluie de sauterelles rouges
mon île volante mon raisin de turquoise
ma collision d'autos folles et prudentes ma plate-bande sauvage
mon pistil de pissenlit projeté dans mon oeil
mon oignon de tulipe dans le cerveau
ma gazelle égarée dans un cinéma des boulevards
ma cassette de soleil mon fruit de volcan
mon rire d'étang caché où vont se noyer les prophèthes distraits
mon inondation de cassis mon papillon de morille
ma cascade bleue comme une lame de fond qui fait le printemps
mon revolver de corail dont la bouche m'attire comme l'oeil d'un puits
scintillant
glacé comme le miroir où tu contemples la fuite des oiseaux mouches de ton regard
perdu dans une exposition de blanc encadrée de momies
je t'aime

Je Sublime, 1936, Oeuvres complètes, tome 2, p. 124.



Pierre Brasseur interprète "Allo"

 

 ***

JE NE DORS PAS

Dis-moi reflet de cobalt
pourquoi le vol de corbeaux qui t’entoure
comme le charbon étreint le feu qui l’a fait en avalant des  piments
qui ont toujours déposé des œufs rouges sur tes lèvres de Saint-Georges
qui va jusqu’à Pigalle
se balance dans le hamac de la place
s’inscrit comme une balle dans une poitrine à couilles
qui ressemble tellement à un gyroscope
qu’on dirait Pluton enlevant Proserpine dans son mouchoir
qui disparaît à l’horizon comme les deux îles anglo-normandes de tes yeux
près de la Manche de ton nez
qui est un rayon de lune dans la cave que je cambriole
espérant y trouver une gueule-de-loup en forme de oui
qui n’aura pas d’ornières à fauteuil de dentiste
qui sera sans filet pour capturer les pêches à tête de moustique
sans moustiques endormis comme une minuterie au coin d’un bois
sans minuterie rongeant les squelettes de mes aïeux et des siens
comme une tête d’ail dans la mayonnaise
qui a vraiment
ce soir
pour peu qu’on l’arrose de pétales d’amandes amères
un grand air de vin nouveau
un peu acide
un peu doux
acide et doux
comme un volcan nouveau
dont la lave reproduirait indéfiniment ton visage

Je Sublime, 1936, Oeuvres complètes, tome 2, p. 127