Prospectus publicitaire pour le « premier monde » et quelques autres talismans portatifs de Jean-Claude Silbermann alias Sam Berlinn(Le Studiolo, Galerie de France, 16 mars-22 avril 2017).
 
Comme une table basse composée de morceaux de cartons usagers : on y jette d’abord un regard à la façon de Lemuel Gulliver, lancé de bien trop haut pour prendre la mesure de l’agitation environnante. Il faut se baisser ou s’accroupir pour se mettre à la bonne hauteur, puis stabiliser son assiette et enfin observer Quelques unes des visions incomparables qui accompagnent le batelier sur les traces du premier monde. Alors devient perceptible la brise rafraichissante et le frisson qui l’accompagne. On a oublié le nom de cette aventure, mais cela n’a pas tant d’importance. Quel brouillard avait escamoté ce petit espace navigable ? Et qui est donc ce nocher qui engage une traversée sans exiger la moindre obole ?
Le batelier n’a pas à se plaindre : les vagues ondulent régulièrement et le spectacle autour de lui ne manque pas d’enchantement.
A l’époque qui est la nôtre, il est sans doute plus que jamais nécessaire de pouvoir disposer de ces mondes portatifs de fabrication légère, et offrant du coup l’avantage d’être aisé à démonter et remonter, comme ces éventaires des marchands à la sauvette. Le quotidien devenant tellement avare en inattendu, tellement peu grisant à tous égards, qu’on ne se lassera pas de plonger et replonger en direction de la balle rebondissante placée à la verticale de ce monde aux ondulations régulières.
Je ne sais plus trop qui parlait de garder toujours une idée de derrière la tête. Sam Berlinn exige plus : ayons hardiment une tête par dessus la tête. Deux têtes superposées mais à contresens : vous avez dit Sam Berlinn ? Avec ce second appendice, sorte d’architête permettant l’indispensable écart d’un angle de vue imprenable, le grand saut vers ce premier monde s’avère d’autant plus intéressant qu’on voit où l’on va, tout en gardant l’oeil sur ce qu’on quitte. Tout est alors affaire de respiration avant le plongeon.
Toutefois, pour ne pas anticiper ce qui viendra bien à son heure, il ne faut pas tourner les talons trop vite et négliger d’envisager la collection de talismans, avec leurs vertus respectives, présentée sur le mur de la seconde pièce du Studiolo de la Galerie de France. Pourquoi se doter d’un talisman par les temps qui courent ? On n’est jamais trop prudent, dirait sans doute le rusé Sam Berlinn.
Et, en plus, c’est clairement indiqué dès le début du numéro 1 de la revue Le Grand jeu : « avoir la grâce est une question d’attitude et de talisman. » Rien ne nous garantit d’un mauvais coup du sort; on ne sait jamais ce qui peut arriver ou on ne le sait que trop bien, en sorte qu’on néglige par calcul ou distraction ce qui peut brutalement se produire par delà l’enchevêtrement mécanique des causes et des effets. Panne de l’intuition, rupture sentimentale et divers autres troubles émotionnels, manque de chance, insatisfaction en tout genre : il y a forcément un talisman adapté à la situation. Que le visiteur ne s’inquiète donc pas : Sam Berlinn a pensé à tout.
À aucun prix, il ne permettrait qu’on quitte les lieux dépourvu de ce sentiment inappréciable nous faisant marcher d’un pas léger, sans nous retourner.