Avec la distance de la lucidité mais avec la proximité de l’affection, Octavio Paz a été au Mexique celui qui a le mieux compris, qui a le plus aimé et qui a commenté de la manière la plus claire le surréalisme, vitupéré d’un autre côté par les intellectuels mexicains de tendance stalinienne.

Le lien direct de Paz avec le surréalisme commence dans les années quarante, quand il noue une amitié profonde avec le poète Benjamin Péret, qui alors vivait au Mexique, exilé par la guerre. Paz lui-même a dit que, bien qu’au moment du voyage de Breton au pays des Aztèques, en 1938, il connût déjà et admirât l’œuvre de celui-ci, ce ne sera que des années après, en 1948, qu’il fera la connaissance de l’auteur de Nadja, à Paris, par l’intermédiaire de Péret qui le mena à une des réunions de café, place Blanche.


Même si à ce moment-là, selon Paz, « le surréalisme avait cessé d’être une flamme », il était  encore «  une braise qui pouvait enflammer l’imagination et réchauffer l’esprit »1. A partir de son entrée dans le groupe, il sera assidu aux réunions quotidiennes et son amitié avec Breton et Péret durera jusqu’à la mort des deux hommes. Il noue aussi des liens affectifs profonds avec ceux des surréalistes – Luis Bunuel,  Leonora Carrington, Remedios Varo qu’il rencontre au Mexique. Récemment encore, Paz rétablit le contact avec quelques membres plus jeunes du groupe qu’il rencontra au Mexique, Jean Schuster en 1994, Jean-Louis Bédouin en 1996. Avec Elisa Breton sa relation affective fut constante et privilégiée. D’autre part, en 1996, alors que fut organisée au Mexique l’année commémorative du centenaire de Breton, Paz présida une série de manifestations, participant avec une intervention brillante et émouvante au colloque qui se tint au début du mois de mars.

En 1950 paraît dans l’Almanach surréaliste du demi-siècle son poème en prose Papillon d’obsidienne, sa première contribution aux activités du groupe. Ce texte, moderne tout en plongeant dans le fonds ancestral, est lié à l’essence même de l’esprit du groupe, dans la mesure où, selon moi, le surréalisme offre à Paz la possibilité d’être mexicain, de ne pas se couper de sa tradition en restant un poète universel. La façon essentielle dont le surréalisme intègre la magie et le mythe en ses œuvres, sert d’exemple au poète de l’Anahuac qui assume pleinement et profondément son passé culturel, en se définissant en même temps comme moderne.

Bien que la relation d’Octavio Paz avec le surréalisme soit, d’après ses propres paroles, « tangentielle », elle marque son esprit et son œuvre de manière définitive. Il se trouve uni essentiellement à ses principes de manière indélébile, son regard et sa pensée prennent une orientation différente à partir de sa participation au mouvement et de son amitié avec Breton. Le dialogue entre eux ne s’interrompt jamais. Non seulement il analyse avec perspicacité et profondeur la pensée de l’animateur du surréalisme, en divers textes écrits durant la vie de celui-ci, mais il rédige un beau texte au moment de sa mort, en 1966, et plus tard il lui consacre d’autres pages encore. Lui-même a dit dans André Breton ou la recherche du commencement : « J’avoue que pendant longtemps l’idée de faire ou de dire quelque chose qui pût provoquer sa réprobation m’empêcha de dormir ». Et il déclare, un peu plus loin dans le même texte, que ses raisons d’adhérer au surréalisme n’étaient pas d’ordre esthétique mais éthique. Breton possédait, à ses yeux, une autorité morale indiscutable, et Paz analyse le personnage qu’il admire et aime avec toutes ses contradictions, dans la dimension exacte de son génie, qui n’était pas inférieur, bien que de nature très différente, à celui de Paz lui-même.

Il y a trois points fondamentaux dans l’œuvre d’Octavio Paz, trois points cardinaux qui structurent son œuvre et s’identifient dans une large mesure au surréalisme : la liberté, l’amour et la poésie. Il prend en divers textes et déclarations publiques tout au long de sa vie une position anti-stalinienne, en défendant la liberté sociale comme la liberté de l’esprit. Son livre La flamme double est une sorte de prolongement des textes surréalistes se référant à l’amour, comme "Le Noyau de la comète", essai qui ouvre l’Anthologie de l’amour sublime rassemblée par Benjamin Péret. Dans des livres comme L’Arc et la lyre, Las peras del olmo, et d’autres, Paz définit sa position par rapport à la poésie qui n’est pas éloignée, bien que différente, de la position de Breton.

Son constant dialogue avec Breton est créatif. Même quand il se sépare de lui, il apprécie toujours, à leur juste valeur, ses points de vue. Si Breton a rempli sa destinée en organisant l’activité surréaliste autour de sa personne, en orientant poètes et artistes, en illuminant et en révélant ce qui devait guider leur création, Paz eut la mission non moins noble d’analyser à fond et avec une vue globale l’histoire et les apports du mouvement, de les exposer lucidement et clairement à la compréhension du public, le mexicain du moins, qui autrement se serait totalement fourvoyé par rapport au surréalisme. Sur de nombreux points, sa pensée est un prolongement de celle du leader du mouvement surréaliste, puisqu’elle se concentre sur des thèmes semblables et que cette pensée n’est pas très éloignée de celle de l’auteur de L’Amour fou. Paz a mené continuellement une lutte acharnée, au milieu du matérialisme et du mercantilisme féroces de l’époque actuelle, pour défendre l’amour, la passion, la poésie. Disons, pour conclure – en reprenant la phrase de Jean Schuster lors de la mort de Wolfgang Paalen - : « un seigneur de l’imagination s’efface ».

1. Octavio.Paz, André Breton : la niebla y el relampago dans Estrellas de tres puntas, Edition Vuelta, Mexico D.F., 1996, p.123.
Lourdes Andrade (Mexico D.F. mai 1998),  (traduit par Claude Courtot )
Trois cerises et une sardine, n°5, octobre 1998. 

 

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