Guy Prévan est décédé le 27 mai dernier. Je l’avais vu quelques jours auparavant, fatigué, mais confiant et encore plein d’énergie pour réaliser son projet d’éditer une anthologie de ses poèmes. C’est Benjamin Péret qui nous a réunis. J’ai connu Guy en 1981 alors qu’il participait au livre collectif sur Benjamin Péret dirigé par Jean-Michel Goutier aux éditions Veyrier. L’entente fut immédiate, une amitié profonde et une étroite collaboration au sein de l’Association des amis de Benjamin Péret devaient naître. Comment ne pas rappeler, et saluer en même temps, son inlassable travail au service de l’œuvre du poète du Grand jeu. Avec discrétion et persévérance, mais aussi une parfaite efficacité, il fut le principal artisan qui permit d’achever l’édition des Œuvres complètes de Benjamin Péret aux Éditions Corti. Sa connaissance de l’œuvre et ses nombreux travaux ont beaucoup apporté pour nous faire découvrir ou redécouvrir le grand poète surréaliste et le révolutionnaire permanent qu’était Péret. Il faudrait évoquer longuement sa riche personnalité : son humour, son goût de l’ironie, sa vaste culture, son sens critique hérité de son passé de militant révolutionnaire et son absolue indépendance d’esprit.

Guy Prévan, de son vrai nom Guy Lecrot, est né le 20 avril 1933 à Nevers de parents d’origine berrichonne. Son enfance nivernaise est marquée très tôt par un esprit de révolte et par le refus de l’institution scolaire, préférant les chemins buissonniers qui le ramènent souvent vers la Loire, son jardin secret. Malgré le rejet du monde qui l’entoure il trouve cependant dans la poésie une raison d’espérer: la vraie vie est ailleurs. Dès l’adolescence il se nourrit de livres grâce à la fréquentation d’un libraire et découvre Apollinaire, Rimbaud, Villon et le surréalisme, notamment en écoutant à la radio les Entretiens d’André Breton. Il arrive à Paris en octobre 1953 et travaille pendant un temps comme postier au tri de la Grande Poste de la rue du Louvre. C’est là qu’il est confronté, en août 1953, à la lutte des classes en participant à la grève générale partie de Bordeaux. Délaissant la Poste, il devient correcteur pendant sept ans au Journal officiel puis dans plusieurs périodiques pour finir sa carrière à Paris Turf.

En juin 1961 il fonde, avec Marc Gautier, Gérard Legrand et Grandizo Munis la revue Sédition qui n’eut qu’un seul numéro. Sous le nom de Gui Lecrot il signe un texte : « Mémento pour la liberté ». L’échec de Sédition et les relations conflictuelles avec le groupe surréaliste le dissuade de le rejoindre malgré l’invitation qui lui est faite dans la revue Bief. Compagnon de route du groupe trotskiste animé par Pierre Lambert – il collabore depuis 1955 au journal La Vérité –, il franchit le pas pour devenir l’un des dirigeants de l’Organisation communiste internationaliste (OCI) qu’il quittera en 1971. Guy, qui n’a jamais renoncé à l’écriture (il écrit depuis l’âge de quatorze ans), publie son premier recueil, Le passe-lanterne, en 1974 aux Editions Guy Chambelland. Suivront une vingtaine d’ouvrages allant du pamphlet: La Confession d’Aragon (Plasma), au récit autobiographique Nevermore (Plasma), en passant par l’humour noir : Petit précis de cuisine anthropophage (Plasma). Mais ce sont les recueils qui sont les plus nombreux édités parfois à compte d’auteur. Guy Chambelland en éditera pour sa part cinq dans sa collection « Le Pont de l’Epée ». Son dernier recueil, Le pas de la lune, qu’il m’avait confié, est resté inédit. Il n’aura pas eu le temps de le voir édité.

Guy a su forger à travers son œuvre poétique un langage d’une originalité absolue qui n’appartenait qu’à lui. Une langue qui charriait l’univers baroque d’un Aloysius Bertrand, l’éclat du souvenir d’un Hardellet, le parler des coquillards d’un Villon, ce « rouscailler bigorne » qu’il connaissait et pratiquait à merveille. Mais il y avait chez lui aussi l’insolence et l’humour vache d’un Péret. Cet orpailleur des mots qui ne pratiquait pas l’écriture automatique, à l’opposé de Péret, a su être son exégète et son défenseur. Dans Le vin de la mémoire, où sont célébrés vingt et un poètes, Péret est celui « qui casse la tête/Au vieux lyrisme des tromblons ». Il faudra sans doute un jour réunir les nombreux articles, préfaces et poèmes que Guy a écrit sur Péret et aussi sans doute rééditer son petit ouvrage Péret Benjamin, révolutionnaire permanent (Syllepse). Avec sa disparition je perds un ami qui m’était cher et les Cahiers Benjamin Péret, dont il assurait la correction, l’un de ses plus sûrs et plus fidèles collaborateurs. 

Cahiers Benjamin Péret, n°6, octobre 2017