Dans La Nouvelle Quinzaine littéraire (n°1130, 16-30 juin 2015), Alain Joubert rend compte de l’ouvrage de Radovan Ivsic Rappelez vous cela, rappelez-vous bien tout (Gallimard, avril 2015). La teneur de cet article intitulé « Le témoin capital » et certains aspects du livre posthume d’Ivsic (1921- 2009) appellent une mise au point relative au rôle de Jean Schuster (1929-1995) au sein du mouvement surréaliste de l’après Seconde Guerre mondiale.  
S’en tenir  aux propos de Joubert et, dans une moindre mesure, à ceux d’Ivsic revient à une pure et simple déformation de l’histoire de la période la moins bien connue du mouvement animé par André Breton.
À son retour en France en 1946, Breton va travailler à recomposer le groupe surréaliste dans un contexte intellectuel qui lui est défavorable, entre stalinisme et existentialisme triomphants. Jamais le groupe surréaliste ne retrouvera la vigueur et l’intensité poétique ou politique qui avait été la sienne lorsque Desnos, Eluard, Crevel, Artaud, Char, Aragon et beaucoup d’autres artistes et poètes marquants associaient leur commun désir de changer la vie.
Il ne s’agit donc pas de tout confondre, mais de reconnaître cependant quels ont été les éléments moteurs du mouvement qui va se réorganiser, envers et contre tout, autour de Breton et Péret, à partir du tournant des années 50.
De quels indices sûrs disposons-nous pour procéder à une évaluation la plus objective possible ? Les œuvres les plus aiguës de la génération d’après la Seconde Guerre mondiale sont le fait d’écrivains dont l’implication collective ne sera pas décisive. On peut citer surtout Jean-Pierre Duprey, Joyce Mansour, Julien Gracq, ou encore Stanislas Rodanski.
Or, être surréaliste signifie avant tout contribuer à l’activité collective : autrement dit, participer avec ardeur aux réunions du « café », aux revues, aux tracts comme aux éventuelles interventions directes. Qui va être le plus souvent en charge des revues du groupe durant cette période de presque vingt années jusqu’à la mort de Breton en 1966 ?
La réponse va de soi après simple consultation des revues en question : Jean Schuster.
Qui va s’impliquer le plus profondément dans l’activité que l’opinion commune associe le moins directement au surréalisme, à savoir la révolte politique, sœur jumelle de la révolte poétique ? Encore Jean Schuster.
Lorsque Ivsic rapporte  comme une petite victoire personnelle  (p.48) une correction infime suggérée par Breton dans le tract Au tour des livrées sanglantes (1953), le rédacteur principal en est…Jean Schuster. Lorsqu’il évoque « qu’une grande partie de l’activité du "café " » (p.52) est absorbée en 1960 par la rédaction du Manifeste dit des 121, nommée par Maurice Blanchot Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie, il omet toutefois de signaler au lecteur qui l’ignore que Schuster est, avec Mascolo, à l’origine de ce texte crucial. Il en est l’un des trois rédacteurs.
Nul n’est en mesure de valider ou d’infirmer les propos qu’Ivsic a pu prêter à Breton concernant Schuster ; ils appellent cependant quelques commentaires qui sont de nature à contester les déclarations de Joubert dans sa glose du livre de son ancien partenaire surréaliste.
Breton a en effet décidé durant l’été qui précède son décès que la nouvelle revue du groupe (L’Archibras) serait dirigée par Jean Schuster et non par un collectif. Pourquoi ?
L’argument de Breton est sans discussion : parce qu’il « saura faire face » . Depuis 1952, avec Médium première série, Schuster a en effet concrètement « fait face » à la direction des revues du groupe ou à leur co-direction. Comme toute association d’individus de bonne volonté formant un collectif, le groupe surréaliste comptait aussi en son sein plus de figurants que d’éléments véritablement actifs. Confier de temps en temps un texte à une revue ne signifie en aucun cas la faire exister. Schuster a réellement organisé la vie collective des surréalistes de cette génération comme peu d’autres, si ce n’est peut-être Jean-Louis Bédouin, Gérard Legrand, ou encore José Pierre.  Ces deux derniers ( comme c’est étrange !) concluront trois ans après la mort de Breton, en accord avec Philippe Audoin, Claude Courtot et Jean-Claude Silbermann, que sans l’auteur des Vases communicants, le jeu n’en valait décidément plus la chandelle.
Mais venons-en à ce qui dans le livre d’Ivsic et dans l’article de Joubert constituerait le coup de grâce contre Schuster.
Il ne serait pas « poète ». Breton aurait même déclaré, presque à l’article de la mort, tandis que son testament confie à Schuster le soin des archives du surréalisme présentes 42 rue Fontaine : « il n’est pas resté un enfant comme vous et moi » (p.90). Un enfant ! Rappelons tout de même que Breton savait parfaitement jouer son rôle d’organisateur du groupe en dispensant avec un enthousiasme authentique des louanges qui étaient parfois éphémères et… calculées. Comment expliquer sinon cette remarque qui, dans la correspondance avec sa fille Aube, (Gallimard, 2009, p.143) précise : « Seuls maintenant restent ici Toyen, Mimi et Jean, plus les Ivsic, de qui on se passerait volontiers » (16 août 1963) ?
Le poète du Roi Gordogane était-il tellement du côté de l’enfance qu’il ne se soit jamais avisé que Breton pouvait se rire de lui ?
De même, personne ne peut contester que c’est uniquement  avec ce même Schuster, si peu « poète » et si peu « enfant », que Breton ait accepté de co-écrire un Art poétique (1959). Avec ses amis d’avant-guerre ou plus tard encore avec Péret, Breton a co-signé plusieurs textes et on ne saurait accepter l’argument qui minorerait l’importance d’un tel engagement. En  Gérard Legrand, il a aussi trouvé un collaborateur qu’il a jugé tout à fait digne de l’aider pour achever L’Art magique (1957). Qui d’autres dans cette génération ? Personne.  
En ce qui concerne « l’aura poétique » de Schuster réfutée par Joubert, le lecteur dépourvu d’a priori pourra en juger en se reportant au volume posthume intitulé Une île à trois coups d’aile (Le Cherche midi, 2007), ainsi qu’à « Dans la compagnie de Breton et après », article que lui a consacré Odile Hunoult dans La Quinzaine littéraire (n°959, 16-31 décembre 2007).
Mais l’essentiel n’est pas là. Quels que soient les nombreux mérites poétiques de Schuster, il est surtout proprement fallacieux d’avancer que son rôle au sein du groupe ait été secondaire ou simplement néfaste, alors que Breton lui-même l’a objectivement distingué entre ses jeunes amis venus vers lui dans l’après-guerre.
Avant tout, il nous importe ici de rappeler qui sont les figurants et qui sont les acteurs de premier plan du surréalisme de cette période.
La remarque visant Michel Foucault, reprise par Joubert dans son article, est aussi très significative. Que Breton ne s’y soit pas intéressé à la fin de sa vie par une sorte de fatigue bien compréhensible dans son état d’épuisement physique, cela peut s’admettre. Mais sa fatigue constitue-t-elle un argument suffisant pour que Joubert s’exclame victorieux : « exit Foucault, pour toujours » ?  On peut, pensons-nous, porter très haut l’œuvre et la vie de Breton et estimer que si l’effet de sa fréquentation n’avait été que de générer des épigones serviles, alors son influence aurait été des plus préjudiciables. Oui, Schuster s’est intéressé aux Mots et les choses et il a eu raison d’essayer de tirer un parti surréaliste de ce livre important !
Dans un registre voisin, il nous paraît tout aussi injuste qu’abusif de méconnaître l’effort de pensée  mis en œuvre  par Vincent Bounoure qui, à travers la remarque prétendue de Breton relevée par Ivsic, serait difficile à lire donc dénué de toute pertinence.
Que ceux qui ont tâché de renouveler le mouvement surréaliste fragilisé soient ravalés au rang de destructeurs ou de faussaires, voilà la grande supercherie que  les figurants voudraient nous faire accroire.
C’est justement en cherchant ailleurs, par exemple auprès de Dionys Mascolo, que Schuster a maintenu le mouvement surréaliste dans une tension constante, autrement dit en dialogue avec les pensées vivantes de son temps.
Redisons-le : notre intention n’est nullement de majorer la dimension politique ou poétique de Jean Schuster, mais bien plutôt de lui reconnaître, comme André Breton avait su le faire, la place centrale qu’il a constamment occupée au sein du surréalisme. Cela relève de la simple vigilance historique.
Un dernier point presque comique est à signaler. Après avoir écrit Le Quatrième chant (1969) prenant acte de la dissolution du mouvement surréaliste, Schuster se lance dans une ultime aventure collective en créant la revue Coupure (1969-1972). Radovan Ivsic n’en dit mot. Pourtant, avec sa compagne Annie Le Brun il rallie cette revue animée par un faux poète, fossoyeur du surréalisme. Où est le simple esprit de conséquence dans cette décision ?
Puisque l’histoire est souvent réécrite par les figurants plutôt que par les premiers rôles, on l’apprendra peut-être un jour…